Commémoration du centenaire de l’Armistice – A propos du discours d’Emmanuel Macron
« La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. »
Paul Valéry
J’ai repensé à cette phrase de Paul Valéry suite à la commémoration du centenaire de l’Armistice, le 11 novembre 2018 à Paris et au discours d’Emmanuel Macron prononcé ce jour-là.
J’ai lu le texte de ce discours, publié par le journal Le Monde, dans son intégralité. Mais je n’ai pas pu l’écouter prononcé par Emmanuel Macron.
Lorsque nous avons branché France Inter, le direct diffusait la voix de Macron prononçant ce discours. J’ai refusé d’écouter et j’ai quitté la pièce.
Depuis les élections de 2017, élections dont tout le monde connaît le mécanisme et comment nous étions obligés de repasser par la case du « vote utile », face à un marasme électoral dont j’ai parlé ici , la sensation d’être manipulé par la machine gouvernementale et les discours politiques ne fait que grandir.
Il est devenu très difficile pour certains citoyens français dont je fais partie, de pouvoir entendre et écouter les paroles du président de la République ainsi que celles de certains membres de son gouvernement, y compris dans un moment aussi important historiquement que la commémoration du centenaire de l’Armistice!
Le texte du discours est très touchant et important, en effet. Mais peut-on le détacher du contexte politique actuel, de ses points « topographiques » dans le tissu de la vie démocratique française aujourd’hui, afin de pouvoir percevoir, derrière la personne du président de la République, la pureté des mots ? Je ne suis pas sûre…
Car cette même personne, qui est Emmanuel Macron, a dit plein d’autres choses qui font sentir à une partie des citoyens – qui par ailleurs n’avaient pas voté pour lui ou étaient obligés au vote utile – qu’il n’est pas cohérent. Qu’il peut parfois représenter plutôt une arrogance de gouvernance et un mépris envers les gens (référence, entre autres à sa réplique au jeune horticulteur à qui il avait dit : « je traverse la rue et je vous trouve du travail »).
De plus, je questionne la réelle légitimité de ce pouvoir car nous savons tous comment l’élection d’ Emmanuel Macron a eu lieu. N’oublions pas le taux d’abstention, et n’oublions pas que ce n’était pas un vote massif pour lui au 2ème tour. Donc, il y a une grande partie du peuple qui ne se sent pas représenté par ce gouvernement, plus la partie qui est « sortie » du jeu et qui est « entre deux ».
Je questionne aussi l’incarnation des valeurs morales liées à la France et évoquées dans son discours hier :
« Souvenons-nous : ne retranchons rien de ce qu’il y avait de pureté, d’idéal, de principes supérieurs dans le patriotisme de nos aînés. Cette vision de la France comme Nation généreuse, de la France comme projet, de la France porteuse de valeurs universelles, a été dans ces heures sombres exactement le contraire de l’égoïsme d’un peuple qui ne regarde que ses intérêts. Car le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme : le nationalisme en est la trahison. En disant « nos intérêts d’abord et qu’importent les autres ! », on gomme ce qu’une Nation a de plus précieux, ce qui la fait vivre, ce qui la porte à être grande, ce qui est le plus important : ses valeurs morales.» (Discours d’Emmanuel Macron lors de la commémoration du centenaire de l’Armistice)
Comment une « Nation généreuse, porteuse de valeurs universelles » laisse des « frères » dans l’humanité, dormir dans les rues (les rues de Toulouse par exemple sont pleines de tentes de personnes d’origine étrangère, larguées à elles-mêmes à peut-être un peu à un minimum de solidarité citoyenne…) !
Si les valeurs morales font partie du cœur de la France en tant qu’entité historique, morale et culturelle, la façon avec laquelle les « élus » de la République dirigent la France, incarne de moins en moins ces valeurs fraternelles.
Et à propos de Moyen-Orient, on lit ce tweet sur le compte officiel du président Macron :
Nous avons décidé, le President Trump et moi-même, de travailler ensemble à la stabilité du Moyen-Orient, ce qui aura des conséquences positives sur le prix du pétrole.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 10 novembre 2018
En réalité, au Moyen-Orient, il n’y aurait que du pétrole ?! Les hommes et femmes qui y vivent, parfois tués par les dictateurs et la pauvreté, ne comptent-ils pas ? On œuvre, ici Occidentaux, pour la stabilité du Moyen-Orient afin que cela ait un impact positif sur le prix du pétrole ?! Et avec ce même pétrole, on pollue la planète et nos poumons grâce à nos belles voitures!
Je suis désolée, mais si les mots de ce discours paraissent justes, celui qui le porte ne me paraît pas si juste !
Nous, citoyens, nous avons l’impression d’être manipulés, d’être les derniers à qui on demande vraiment notre avis, sauf lors de la farce électorale. Nous assistons parfois bouche bée, aux événements qui parlent de nos morts, ou de valeurs universelles, alors que pour une partie d’entre nous, nous avons l’impression, de plus en plus, qu’humainement nous existons sans pouvoir agir et défendre efficacement nos droits. Que nous sommes aliénés de plus en plus par le système économique que quelqu’un comme Emmanuel Macron encourage en nous faisant vivre dans une société de la compétition, du rouleau compresseur, où personne ne regarde plus personne tellement nous sommes pris par nos bulles individualistes et nos soucis, où la pseudo-presse se distribue gratuitement devant les bouches des métros des grandes villes (les journaux gratuits) et où une aliénation progressive se fait grâce aux médias de masse qui gavent les citoyens.
Nous regardons, parfois démunis, des « spectacles » où les grands de ce monde parlent, causent et décident de tout.
Nous avons l’impression d’être dépassés, de ne plus être vraiment représentés.
Oui, la France porte des valeurs universelles de fraternité et de justice. Mais aujourd’hui les citoyens français se « mondialisent », et souffrent. Et nous affichons une façade très brillante, alors que la maison risque de brûler à cause des populismes et des extrémismes.
Comment peut-on, nous citoyens de France, incarner ces valeurs universelles, œuvrer pour une Europe unie et pour la paix, si notre capacité et savoir citoyens sont affaiblis ? Si les valeurs du marché prennent le dessus sur notre humanité et notre sentiment de solidarité ?
Je ne parviens pas, malgré l’évidente importance de ce discours, à laisser entrer en moi, en tant que citoyenne, ce sentiment d’union autour de valeurs auxquelles je tiens fort, et pour lesquelles j’avais traversé un continent. Car la personne qui prononce ces mots a laissé en nous des traces indélébiles. Il est donc très difficile de faire la part des choses, et de positionner ce discours du point de vue de la politique internationale et européenne, et le rôle de la France dans le monde.
— Je me suis intéressée à ce discours uniquement parce que Cynthia Fleury, présente sur le plateau de France Inter lors de cette commémoration, l’a qualifié – si j’ai bien compris – de « très beau discours ».
Cynthia Fleury, parce que c’est grâce à ses travaux et à la pensée qu’elle porte et qu’elle diffuse que certains citoyens retrouvent « leur courage », retrouvent un peu de capacité.
Nous retrouvons sur ce site plusieurs billets à propos de la pensée de Cynthia Fleury :
Les agents fertiles d’une pensée
La rencontre avec une pensée – Cynthia Fleury
« La culture au sens d’oeuvre »
Rawa-Marie Pichetto - 12 novembre 2018
Magnifique qui permet de mettre des mots sur un sentiment général